- FOSSILES ET FOSSILISATION
- FOSSILES ET FOSSILISATIONLes êtres qui ont vécu au cours des temps géologiques ont laissé de nombreux témoignages de leur existence, sous des formes extrêmement diverses. Ce sont les fossiles . Certains animaux et végétaux ont même survécu jusqu’à nos jours à travers les vicissitudes de l’histoire géologique, tels les Lingules, les Limules, les Nautiles, le Cœlacanthe, le Sphénodon, l’Okapi, le Ginkgo, etc. On les appelle fossiles vivants . Ils sont cependant des exceptions, et si les géologues et les paléontologistes peuvent aujourd’hui reconstituer l’histoire de la Terre et l’évolution des êtres vivants depuis leur origine, c’est surtout grâce aux vestiges des espèces à présent disparues. On donne le nom de fossilisation aux phénomènes complexes ayant permis la conservation des organismes après leur mort, et se manifestant essentiellement par des modifications et par des échanges plus ou moins importants de substances minérales avec le milieu géologique. Par extension, le terme «fossilisation» peut désigner la conservation d’un relief, d’un sol, etc., ou encore l’enregistrement d’un événement quelconque dans l’écorce terrestre, une inversion du champ géomagnétique, par exemple.1. Les fossiles vivantsDécouvert en 1957 par l’Américain Sanders sur les côtes du Massachusetts, Hutchinsoniella est un Crustacé de trois millimètres de long au biotope tout à fait original: il vit en effet dans la vase en train de floculer, par trente à quarante mètres de fond. La morphologie d’Hutchinsoniella frappe par son aspect primitif: il est très allongé et possède dix-neuf segments. La tête est en forme de croissant, les neuf segments suivants portent des appendices très généralisés, très semblables entre eux. Les dix derniers n’en possèdent pas. Hutchinsoniella est un représentant des Céphalocarides, crustacés très anciens, typiques de la structure des crustacés au début du Primaire et qui conservent même des caractéristiques étonnamment primitives et «généralisées» pour les Arthropodes. Il y a lieu de croire que l’habitat très particulier des Céphalocarides correspond à un type de biotope qui a traversé sans grands changements toutes les époques géologiques. Les espèces adaptées à ce milieu s’y sont spécialisées (absence d’yeux), mais en conservant par ailleurs leurs traits primitifs. Nous avons là l’exemple de la pérennité d’un fossile vivant, directement associée à la pérennité d’un milieu .En 1958, le Congrès zoologique de Londres est ému par la description du fameux mollusque de la Galathea , baptisé Neopilina galatheae . Il s’agit, en effet, d’un représentant actuel des Monoplacophores, classe de Mollusques connus seulement jusque-là par des coquilles cambrio-siluriennes (début de l’ère primaire). L’étude des parties molles révèle une structure étonnamment primitive. La métamérie (segmentation) du corps est très nette alors qu’elle n’avait jamais été mise en évidence chez les autres mollusques. Les muscles, les branchies, les auricules circulatoires, les organes excréteurs et le système nerveux sont encore organisés de façon régulièrement segmentaire, un peu comme chez les vers annélides. Neopilina conserve ainsi dans la nature actuelle les caractères d’une classe très primitive de mollusques que l’on croyait éteinte depuis le Silurien. Mais ces Monoplacophores fossiles étaient sans doute des animaux vivant sur les côtes, à faible profondeur, alors que leurs descendants actuels se sont adaptés à la vie abyssale. Une évolution morphologique minime a donc accompagné une évolution écophysiologique considérable, les Monoplacophores ayant dû changer de milieu pour survivre , en colonisant à leur profit le domaine abyssal qui leur sert actuellement de refuge.Dans le cas du cœlacanthe Latimeria découvert dès 1938-1939, au large de l’Afrique du Sud, puis récolté aux Comores par des missions françaises ultérieures, une étude approfondie a conduit à placer ce poisson dans le groupe de Crossoptérygiens, que l’on croyait éteint depuis le Crétacé. À côté de caractères conservateurs évoquant les Crossoptérygiens ancestraux, Latimeria présente aussi des caractères spécialisés: la réduction de l’ossification, la structure de la corde dorsale, la curieuse position de certains viscères, le poumon transformé en organe adipeux, certaines particularités de l’appareil circulatoire attestent d’une longue évolution originale. De récentes études démontrent que Latimeria pratique une sorte d’ovoviviparité. Les œufs, extrêmement volumineux, ne sont pas émis, mais se développent au contraire dans le tractus génital des femelles.Les Crossoptérygiens constituent un groupe exceptionnel par son importance évolutive. Parmi eux, les Rhipidistiens sont, en effet, les ancêtres directs des Vertébrés aériens terrestres pourvus de membres marcheurs, les Tétrapodes, à savoir Amphibiens, Reptiles, Oiseaux et Mammifères. On trouve chez ces Rhipidistiens l’ébauche des membres marcheurs dans la structure interne des nageoires paires; des narines internes, ou choanes – suggérant l’existence de poumons –, l’organisation anatomique de la joue, du palais, de la mandibule, des ceintures, de la colonne vertébrale, la structure détaillée des dents enfin, sont autant de caractères qui imposent leur statut d’ancêtres réels des Tétrapodes. Mais leur histoire géologique est courte: ils fleurissent au Dévonien, donnent naissance aux Tétrapodes, puis s’éteignent rapidement.Les Cœlacanthes, ou Actinistiens, sont des Crossoptérygiens assez profondément différents des précédents. L’absence de choanes, la structure du crâne, de l’appareil respiratoire, des écailles et des dents, de la colonne vertébrale, des nageoires paires, etc., sont en effet originales et ces éléments diffèrent par bon nombre de détails de ceux des Rhipidistiens. Connus dès le Dévonien, les Actinistiens persistent avec très peu de changements pendant le reste du Primaire et le début du Secondaire, jusqu’au Crétacé moyen où ils disparaissent des couches géologiques dans le monde entier, malgré leur large répartition géographique précédente. Là encore, nous voyons que le fossile vivant qu’est Latimeria est géographiquement confiné à une sorte d’asile , contrastant avec la répartition mondiale de ses devanciers directs.Contrairement aux dires d’une vulgarisation trop superficielle, Latimeria n’est donc pas notre ancêtre-poisson! Comme la plupart des fossiles vivants, il représente au contraire le témoin actuel d’une lignée incapable de véritables innovations évolutives importantes. La pérennité de ces lignées qui traversent les temps géologiques n’est en quelque sorte que le «dividende» de leur incapacité évolutive.Formes panchroniquesLes quelques exemples précédents suffisent à montrer que les fossiles vivants n’ont pas tous et toujours exactement la même signification, tant du point de vue évolutif et paléontologique que du point de vue des adaptations et de l’écologie. Ce sont ces divers aspects des choses qu’il convient à présent d’expliciter.En premier lieu, on pourrait être tenté d’assimiler les fossiles vivants à toutes les formes panchroniques . On appelle ainsi les groupes animaux ou végétaux qui traversent apparemment toutes les époques géologiques sans manifester de grands changements évolutifs et structuraux. Les lignées panchroniques sont nombreuses et l’on en connaît dans tous les embranchements, mais l’existence d’une lignée panchronique n’implique pas nécessairement que ses représentants actuels soient des fossiles vivants. Cela est particulièrement vrai si la lignée est actuellement représentée par un grand nombre d’espèces variées, adaptées à des biotopes nombreux, divers et étendus. Dans ce cas, il n’y a pas, en vérité, de critère objectif pour considérer cette lignée comme «déphasée» dans le monde vivant actuel, même si elle a peu changé depuis ses origines.Il importe aussi de bien préciser le niveau de résolution systématique auquel on se place. Globalement, les collembolles, parmi les Insectes aptérygotes, les blattes, parmi les Insectes ptérygotes, les scorpions, parmi les Chélicérates, sont des panchroniques qui n’ont pas sensiblement changé depuis l’ère primaire. Une fois le «type» établi, celui-ci a perduré remarquablement sans changements vraiment spectaculaires: les ordres paraissent donc invariables et doués d’un panchronisme remarquable. Pourtant, si, à l’intérieur de ces ordres panchroniques, on se place au niveau de la famille et surtout du genre ou de l’espèce, il est alors évident qu’aucune de ces catégories n’a survécu sur des laps de temps aussi longs. Aucune espèce de blatte actuelle n’est véritablement l’identique d’une espèce du Carbonifère. Le panchronisme est donc une notion relative . Du point de vue de la mécanique évolutive, on appelle bradytélie la capacité à évoluer lentement. Cette bradytélie est parfois poussée à un point extrême. Ainsi, Neopilina actuelle paraît à peine distincte, au niveau générique, de Pilina du Silurien. Des durées de temps suffisantes à des milliers de spéciations impliquant la genèse de familles, d’ordres, de classes dans certaines lignées à évolution rapide (tachytélique) ou «moyenne» (horotélique), sont donc à peine suffisantes pour produire une divergence de niveau générique chez les Mollusques Monoplacophores.Enfin, il importe de ne pas oublier que l’évolution des organismes n’affecte pas tous les organes de façon synchrone, mais s’exerce au contraire sur les différents systèmes organiques avec des rythmes distincts: c’est l’évolution en mosaïque . Si nous reprenons à cet égard l’exemple des blattes, nous constatons que, si la disposition des nervures alaires a peu changé depuis le Primaire, il n’en est pas de même de l’appareil reproducteur. Toutes les blattes actuelles ont développé un système d’oothèque fort spécialisée et elles diffèrent profondément par ce caractère de la plupart des lignées de blattes paléozoïques.Le panchronisme, considéré jusqu’ici au niveau de l’organisme formant un tout, doit en fait être dissocié au niveau des différents systèmes organiques : l’analyse de ce mode évolutif est donc bien plus subtile qu’il n’y paraît de prime abord.En conclusion, toutes les formes panchroniques ne peuvent être tenues pour des fossiles vivants, mais ceux-ci se trouvent évidemment parmi elles. Ils n’en constituent en quelque sorte que des cas particuliers.Reliques et relictesOn appelle parfois les fossiles vivants des reliques , en ce qu’ils sont des descendants à peine modifiés de la souche, ou de diverticules nés à la base des rameaux phylétiques, qui se sont épanouis et diversifiés par ailleurs. Du point de vue évolutif, ces fossiles vivants, comme certains fossiles proprement dits, nous permettent donc de relier entre eux des groupes systématiques largement distincts les uns des autres dans la nature actuelle, d’où leur grand intérêt pour l’étude de la phylogenèse. Latimeria , seul Crossoptérygien actuel, est un bon exemple de relique: il représente le groupe faisant le passage des Poissons osseux aux Tétrapodes. L’ornithorynque est un autre exemple célèbre: représentant (avec l’échidné) le groupe des Mammifères Monotrèmes ou Protothériens, ovipare, très primitif à maints égards, il s’agit d’une relique évoquant les stades de transition entre les Reptiles Mammaliens (Thérapsides) de la fin du Primaire et du Trias, d’une part, et les Mammifères «typiques» ou Theriens (Marsupiaux, Metatheria , et Placentaires, Eutheria ), d’autre part.Notons bien qu’il ne convient pas de superposer cette notion de fossile vivant, relique, avec la notion de chaînon manquant (missing link ). Les fossiles vivants ne sont jamais eux-mêmes des missing links (sans quoi, ayant évolué, ils ne seraient justement plus ce par quoi nous les qualifions de fossiles vivants). Mais, dans certains cas, ils peuvent seulement, de par leur position phylogénétique, nous aider à mieux reconstituer ce qu’ont été les missing links véritables.La notion de relicte , plus écologique, insiste davantage sur le milieu. Les animaux considérés comme relictes peuvent être des formes ultra-spécialisées très différentes morphologiquement de leurs lointaines souches phylogénétiques. L’essentiel est leur association avec des milieux relictuels . Un tel milieu constitue une ambiance écologique particulière, un habitat limité, souvent très stable, qui joue donc un rôle conservateur. En effet, dans de tels milieux, les êtres vivants qui y sont confinés sont soumis à une compétition moins variée, moins sévère, que dans des milieux plus «ouverts», plus généralisés, où la concurrence vitale s’exerce plus activement. On cite souvent les milieux cavernicoles, certains milieux d’eau douce, les abysses, le milieu interstitiel entre grains de sédiment, comme exemples de milieux relictuels.À cette idée de relicte se rattachent les notions plus générales et biogéographiques d’aires relictuelles . Il s’agit de la surface (ou des surfaces) refuge encore occupée dans la nature actuelle par telle ou telle espèce, mais qui est toujours bien inférieure à celle qu’occupait l’espèce (ou son ascendant) au moment de sa plus grande extension biologique et géographique.Du point de vue écologique et biogéographique, l’existence d’une aire relictuelle (ou résiduelle) signe le déclin d’un groupe ancien, son «déphasage» par rapport aux communautés biologiques actuellement en pleine vigueur et son accession possible au statut de fossile vivant. Parmi de multiples exemples, citons seulement le cas des tapirs. Ces Mammifères autrefois répandus dans tout l’Ancien et le Nouveau Monde n’occupent plus que deux aires relictuelles disjointes: Sud-Est asiatique et Amérique du Sud.Bien entendu, il existe tous les intermédiaires possibles entre des aires relictuelles géographiquement encore très vastes, répondant à des biotopes variés, et des milieux relictuels minuscules et ultra-spécialisés où des formes vivantes déphasées dans la nature actuelle trouvent encore, souvent au prix de nombreuses spécialisations, un asile plus ou moins précaire.En conclusion, la notion de fossile vivant se rapproche davantage de celle de relique pour l’évolutionniste et le paléontologue. Au contraire, zoologistes et écologistes associent plutôt les fossiles vivants à l’idée de relicte.Difficultés d’interprétationL’étude de la zoologie et de la paléontologie pourrait ainsi conduire à une conclusion paradoxale. D’une certaine façon, l’immense majorité des êtres vivants actuels n’est-elle pas, après tout, constituée de fossiles vivants?Comme on l’a déjà souligné, aucune espèce actuelle n’est l’identique d’une espèce mésozoïque ou paléozoïque – en ce sens, il n’existe pas de fossile vivant «parfait». Mais il serait cependant assez facile de recréer en aquarium ou en terrarium des «ambiances» reconstituant, à l’aide d’espèces communes actuellement vivantes, des communautés biologiques très «évocatrices» de celles du Jurassique, voire du Silurien ou du Cambrien! (Au moins si l’on excepte les Vertébrés, tard venus du règne animal pour ce qui est de leurs différenciations évolutives majeures.)Ces «fac-similés» ne seraient bien sûr que des approximations, mais ils suffisent à situer le problème: même si l’espèce est différente, une huître actuelle, après tout, ne diffère pas fondamentalement d’une huître jurassique. L’huître est-elle donc un fossile vivant? Mais on peut généraliser le raisonnement: au fond, en tant que morphotypes, l’immense majorité des formes animales et végétales actuellement vivantes est stabilisée depuis longtemps. Fossiles vivants alors toutes les bactéries, les algues bleues, tous les insectes aptérygotes, les Spongiaires, les Cnidaires, les Crustacés? Fossiles vivants les requins, stables depuis le Dévonien, les Téléostéens, stables depuis l’Oligocène, les divers ordres de Mammifères depuis le Pliocène?Écologiquement, le problème est comparable. Les formes les plus évoluées du monde vivant actuel ne constituent, bien souvent, que les sommets de certaines pyramides écologiques. Elles dépendent entièrement, dans la succession des échelons trophiques, des formes plus «primitives» ou «inférieures» de la vie. En effet, en biomasse, les embranchements primitifs les plus simples, les plus anciens, demeurent souvent importants et peuvent alors constituer la large et indispensable base des pyramides alimentaires. Les Procaryotes, tous les Unicellulaires, les divers phyla d’Algues, beaucoup de Cryptogames, les Spongiaires, la plupart des phyla d’Invertébrés diploblastiques et triplobastiques étaient déjà définis à l’aube du Cambrien et n’ont pas fondamentalement changé depuis. Dans cette perspective, l’évolution, surtout envisagée du point de vue des Vertébrés supérieurs, n’apparaît-elle pas comme une vaste illusion d’optique? La large masse des formes primitives de la vie, remarquablement invariante, ne supporte-t-elle, évolutivement et écologiquement, les formes «avancées», «supérieures» ou «modernes» de la vie que comme un épiphénomène relativement mineur?Il semble que ce point de vue ne soit pas justifié, car il répond à une conception beaucoup trop laxiste du concept de fossile vivant. Il est certain que les grands groupes de la systématique ont conservé au cours des ères géologiques une réelle individualité morphotypique – qui permet précisément de les définir. Il n’en est pas moins vrai que, si l’on étudie ces divers groupes de façon suffisamment détaillée, on perçoit alors les changements structuraux souvent considérables intervenus généralement au cours de l’évolution à l’intérieur de ces morphotypes eux-mêmes, ce qui justifie amplement le caractère exceptionnel, restrictif, de la notion de fossile vivant.D’autres acceptions du concept de fossile vivant ne sont pas moins également discutables. Zoologistes et écologistes qualifient souvent de fossile vivant des formes ultra-spécialisées, car adaptées par tous leurs traits morphologiques, physiologiques et éthologiques à des niches tout à fait particulières et restreintes. Une telle acception n’est pas évidente, dans la mesure où la somme des caractères apomorphes (spécialisés) en vient à masquer le «substratum» de caractères plésiomorphes (primitifs), caractéristique de la véritable condition ancestrale. Même s’ils sont réellement les témoins actuels de lignées très anciennes et depuis longtemps distinctes, de tels organismes ne nous paraissent pas plus répondre au concept de fossile vivant que ceux qui ont évolué de façon plus «banale», en s’adaptant à des milieux et à des conditions de vie qui nous paraissent moins spécialisés et plus répandus dans la nature. L’absence de la dimension paléontologique dans une telle acception large du concept de fossile vivant rend celui-ci largement sujet à caution. De plus, l’adaptation poussée à un habitat spécialisé, considéré comme relictuel, ne garantit absolument pas que l’espèce considérée appartienne ipso facto à une lignée ancienne et primitive. Des groupes phylétiquement «jeunes» et en pleine expansion peuvent très bien aussi différencier des espèces spécialisées s’adaptant à de tels milieux: elles ne sont en rien pour autant des fossiles vivants!L’exemple le plus simple de telles situations est sans doute celui des Amphibiens Urodèles Pérennibranches (qui conservent leurs branchies). Les paléontologistes sont enclins à penser que ces animaux sont le fruit d’une évolution spécialisante et ne sont en rien des fossiles vivants. Par néoténie (persistance des caractères larvaires à l’état adulte), ces Amphibiens Urodèles conservent des branchies externes toute leur vie, ainsi que toute une suite de caractéristiques très particulières, comme la persistance corrélative d’un squelette interne largement cartilagineux. Bref, dans cette perspective, ces espèces néoténiques sont des «fins de lignées» spécialisées, issues d’Urodèles à développement «normal», plutôt que des témoins attardés de la condition présente chez les Urodèles primitifs. Beaucoup de zoologistes et d’écologistes, en revanche, sont d’une opinion toute différente. Ils considèrent ces Pérennibranches comme des fossiles vivants dans la mesure où ils sont étroitement inféodés à des habitats relictuels très conservateurs, comme les cavernes des réseaux karstiques.Validité du conceptComme on vient de le voir, à vouloir trop englober sous le nom de fossile vivant, on en arrive, par inflation, à distendre ce concept jusqu’à l’absurde. S’il doit conserver un sens et une utilité, ce ne peut être que par une très soigneuse délimitation de ses applications légitimes. Idéalement, un fossile vivant devrait se définir par un certain nombre de critères.– Critères morphologiques et anatomiques . Le groupe doit présenter des caractères structuraux primitifs, généralisés ou synthétiques. Les caractères évolués, éventuellement présents, fruits d’une évolution phylogénétique plus ou moins récente et spécialisante, ne doivent pas masquer cette majorité de traits ancestraux.– Critères paléontologiques et stratigraphiques . Le groupe considéré doit être connu à l’état fossile, souvent avant même qu’il ait été retrouvé dans la nature actuelle. De préférence, il devra s’agir d’un groupe ancien et ayant disparu des documents paléontologiques depuis un long laps de temps, qui semble «resurgir» brusquement dans la nature actuelle.– Critères systématiques . Ils sont la conséquence et l’expression des précédents. Le groupe doit être profondément original, distinct, bien délimité et très largement séparé des groupes les plus voisins actuellement vivants. Cette large séparation témoigne d’un long processus d’isolement phylogénétique. De plus, le groupe ne doit pas être foisonnant dans la nature actuelle, mais au contraire limité à un petit nombre de représentants, voire à une espèce unique.– Critères écologiques, éthologiques et physiologiques . En principe, le groupe devrait perpétuer, au moins en partie, des caractéristiques écophysiologiques et éthologiques (comportementales) primitives, dans la mesure, en particulier, où il est écologiquement inféodé à un habitat très conservateur, peu variable.– Critères biogéographiques . Le groupe devra être cantonné à une aire de répartition géographique restreinte et unique où il se perpétue (habitat relictuel). Ou bien il sera présent dans plusieurs aires relictuelles distinctes et qui peuvent être géographiquement séparées par des distances énormes. Ces habitats disjoints témoignent d’une répartition géographique autrefois considérable qui s’est réduite avec le temps jusqu’à des «asiles» ou refuges relictuels actuels.– Critères évolutifs . Les modalités de la mécanique évolutive intéressant le groupe répondent typiquement à une bradytélie, c’est-à-dire à une vitesse extrêmement lente d’évolution. De plus, celle-ci ne devra pas être diversifiante, mais plutôt conservatrice, et elle devra s’exercer dans le cadre d’un milieu assez stable et constant.2. FossilisationPour que des processus de fossilisation puissent avoir lieu, il est nécessaire que certaines conditions biologiques, physiques et chimiques soient réalisées, ce qui semble avoir été souvent le cas au cours des «temps fossilifères». À ce propos, les terrains antécambriens sont pauvres en fossiles identifiables ce qui paraît dû principalement aux actions destructrives du métamorphisme et à la rareté des êtres vivants. Un autre facteur excluant pratiquement la possibilité de fossilisation est l’action prolongée des agents météoriques; aussi les fossiles correspondent-ils généralement, à des organismes qui ont été enfouis rapidement après leur mort.Conservation des organismesOn connaît des cas exceptionnels dans lesquels les individus ont été conservés dans leur totalité, y compris leurs parties molles: insectes inclus dans l’ambre, rhinocéros momifiés dans les asphaltes des Carpates, mammouths congelés dans les glaces de Sibérie et dont l’estomac gardait encore «surgelées» les dernières plantes qu’ils avaient ingérées; on cite également des fragments de peau momifiés de quelques Reptiles de l’ère secondaire (Iguanodon , Anatosaurus et Ichthyosaurus ). Les micro-organismes fossilisés dans les silex ont conservé leur matière organique toujours susceptible de coloration. Mais la fossilisation débute, le plus souvent, avec la décomposition et la disparition des tissus mous par oxydation ou putréfaction.Les étapes ultérieures diffèrent, d’une manière générale, selon les conditions d’enfouissement (les parties dures peuvent, à l’extrême, disparaître sous l’action des bactéries) et l’évolution du gisement (roches sédimentaires, généralement), et selon qu’il s’agit d’Invertébrés, de Vertébrés ou de Végétaux.Les Invertébrés (Foraminifères, Oursins, Coraux, Brachiopodes, Mollusques divers) ont habituellement des coquilles calcaires qui sont souvent conservées en assez bon état pour pouvoir être déterminées; il en est de même pour la plupart des organismes au squelette silicieux (Spongiaires, par exemple). En d’autres cas, à la suite de la dissolution du test, il n’en reste que des moules internes ou des empreintes. Mais la substance originelle peut aussi être seulement «minéralisée», c’est-à-dire modifiée ou remplacée (épigénisée) par une autre. Parmi les substances qui constituent les fossiles, les carbonates sont les plus fréquents, en particulier le carbonate de calcium, d’origine primaire ou secondaire (l’aragonite se transforme presque toujours en calcite plus stable); viennent ensuite la silice (surtout la calcédoine), les phosphates, les sulfates, la glauconie. Le sulfure de fer (pyrite) donne parfois de très beaux moules de Céphalopodes (Ammonites de Villers-sur-Mer, Calvados) et, parmi les curiosités, on peut citer des moules de fossiles, originaires du Chili, qui sont en argent pur.Les modes de gisement des fossiles sont fort variés. On constate toutefois que, dans la plupart des cas, ils gisent groupés. Cela tient notamment au fait que certains organismes vivaient en colonies; ou encore, de nombreux individus ont pu être décimés brusquement ou rassemblés par des courants après leur mort (taphocénose).Les Vertébrés ont laissé des squelettes plus ou moins complets et des dents. Comme il a été dit, les parties molles et la peau sont très rarement conservées. On retrouve également des œufs de Poissons, de Reptiles et d’Oiseaux. D’autres n’ont abandonné que des excréments (coprolithes), et de certains même, on ne connaît que des pistes et des empreintes de pas.La structure anatomique des Vertébrés, des Poissons en particulier, a été étudiée par la méthode des «sections sériées», d’après des surfaces d’usure polies et équidistantes. E. Stensiö a pu ainsi reconstituer avec précision l’encéphale, les nerfs crâniens et les vaisseaux sanguins du crâne des Céphalaspides du Primaire du Spitzberg. La radiographie des fossiles engagés dans une gangue perméable plate a aussi donné d’assez bons résultats.Les Végétaux abandonnent des spores ou des pollens, des feuilles et des fragments de bois, rarement des fleurs et des fruits.Les bois fossiles sont généralement silicifiés, permettant l’étude de leur structure anatomique complète et la détermination des genres. Les feuilles, conservées dans des lits argileux de dépôts lacustres, sont souvent en bon état, mais parfois difficiles à déterminer.Pollens et spores sont ordinairement bien conservés dans les sédiments. Malheureusement, les types anciens sont très différents des types actuels et il n’est pas facile de savoir à quelle espèce végétale ils appartiennent.Traces diversesCertains animaux n’ont laissé que des traces. Les plus importantes sont les pistes de certains Vertébrés terrestres, celles d’Invertébrés (Trilobites, Limules, etc.). L’étude de ces traces est l’objet d’une science particulière: l’ichnologie.Les Annélides polychètes sédentaires, qui vivent dans le sable ou la vase, dans des galeries, dans des tubes droits ou en U, sont retrouvées sous forme de «grès à tigillites» par exemple. Les êtres microscopiques, comme les Algues unicellulaires et les Bactéries, fort difficiles à déceler, ont parfois abandonné des «formes». C’est le cas des Stromatolithes, qui sont des dépôts de carbonate de calcium dus à l’activité de certaines Algues unicellulaires (Cyanophycées) et de Bactéries, pouvant constituer de très grands récifs. Ces dépôts ont des configurations (en feuillets, en boules, en cylindres) qui ont permis de les classer et de leur donner des noms; cependant, il ne s’agit pas là d’espèces fossiles mais de leurs constructions. Les Stromatolithes sont des formes du plus haut intérêt, puisque les plus âgés datent de deux milliards et demi d’années et représentent les premières traces de vie à la surface du globe. On peut encore citer les termitières fossiles, dans lesquelles on ne trouve plus les Termites responsables de leur construction.Dans les terrains très anciens, antérieurs à un milliard d’années, il n’y a ni fossiles déterminables ni pistes, mais tout au plus des Stromatolithes. Les méthodes de la biochimie et de la paléobiochimie ont pourtant permis de déceler des traces de vie sous forme de matière organique. Sachant, par exemple, que le rapport 12C13C est constant (de 90,1 à 92,8) dans les tissus végétaux ou animaux, actuels ou fossiles, on a pu démontrer la nature organique de la «shungite» de Carélie et des Corycium de Finlande, datant de 1 700 millions d’années.D’autre part, les acides aminés ne se détruisent pas complètement avec le temps. On a pu retrouver et déterminer les protéines d’ossements de Dinosauriens de 150 millions d’années et de Poissons de 250 millions d’années. Des analyses biochimiques analogues ont permis de découvrir des traces de chlorophylle dans des roches très anciennes n’ayant pas conservé le moindre vestige identifiable de Végétaux, même tout à fait inférieurs.3. Utilité des fossilesLes fossiles sont utilisés à plusieurs fins: paléontologie et études de l’évolution, stratigraphie, géologie appliquée, paléogéographie.Les géologues ont pu établir une échelle stratigraphique de valeur mondiale en utilisant leurs observations sur le terrain et en constatant que les couches successives de l’écorce terrestre renfermaient des faunes et des flores différentes; d’autre part, les mêmes niveaux contenaient des faunes comparables dans tous les pays du monde. On considère comme «bons fossiles stratigraphiques» les espèces dont l’existence a été courte, définissant ainsi des zones d’autant plus caractéristiques qu’elles ont eu une large répartition géographique.Dans le même temps, les paléontologistes constataient l’évolution des faunes et des flores au cours des temps géologiques. Le monde biologique a visiblement évolué vers des organisations de plus en plus complexes: unicellulaires au début, puis Invertébrés et enfin Vertébrés (Cyclostomes, Poissons, Amphibiens et Reptiles, Oiseaux et Mammifères).La géologie appliquée à la recherche des matières minérales utiles (eau, charbon, pétrole, phosphates, potasse et certains minerais) s’appuie sur la stratigraphie, car ces matières sont localement liées à certains niveaux. La recherche dans une région peu étudiée du point de vue géologique demande une reconnaissance préliminaire par forages profonds. En l’absence de gros fossiles classiques – cas assez fréquent –, on utilise les microfaunes plus abondantes. La connaissance de Microforaminifères, des Ostracodes, etc., permet d’établir une bonne stratigraphie et de retrouver l’étage recherché.La répartition des sédiments continentaux et marins au cours des temps géologiques permet de se faire une idée de l’extension des terres et des mers. La nature des fossiles donne des indications plus précises sur la paléogéographie (fossiles de faciès), en particulier sur les paléoclimats (récifs coralliens, Reptiles ou certains Végétaux évoquent des climats chauds). Enfin, la présence de faunes et de flores semblables sur deux continents implique quelque liaison terrestre à un moment donné de l’évolution paléogéographique.
Encyclopédie Universelle. 2012.